ABOUT
Me
This is a great place to tell your story and give people more insight into who you are, what you do, and why it’s all about you.
LE REGARD DU TEMPS
03.06.21 - 12.06.21
“Regarder le temps ? Que voient les artistes de cette réalité par essence insaisissable ? Le temps n’a jamais cessé d’être une préoccupation des artistes. S’en saisir aujourd’hui, à
l’ère des multi-connexions, de l’instantanéité de l’information et de la mort du temps mort, renouvelle profondément la question. Le partage des informations, des cultures et les nouveaux moyens technologiques ont permis que des domaines précédemment réservés aux spécialistes soient ouverts aux artistes. Ceux-ci deviennent ainsi les explorateurs d’un thème immémorial. Leurs productions, leurs gestes nous permettent d’appréhender le temps comme un grand
articulateur : entre subjectivité et objectivité, entre vitesse et suspension, entre la vie et sa remémoration, entre ce qui s’éloigne et ce qui se rapproche, entre le dehors et le dedans,
entre la matière et l’espace.”
Pierre Hanau
Pierre Hanau : Une question semble être inscrite dans l’intitulé de cette exposition : le « regard du temps »... Est-ce à dire que nous pourrions voir comment le temps se matérialise dans les œuvres, ou bien suggérez-vous qu’il existe une possibilité de voyager dans le temps grâce à l’œuvre d’art ?
Brigitte Saby : Le propos de cette exposition est de prendre pour ancrage une thématique fort commune qui est celle du « temps », afin de suggérer, à travers cette exposition, que ce temps « qu’on ne voit pas passer » ne fait pas que passer !... mais qu’il est bien une matière et que celleci est en permanence investie par la sensibilité... On peut bien réfléchir au temps comme à un absolu... mais ce serait négliger cette particularité que veut que nous ne connaissons le temps que
par l’expérience sensible que nous en faisons... La
confrontation à l’art, aux œuvres, nous fera voir
comment ce concept peut prendre corps de manière variée...
À travers l’expérience du temps que font les artistes et dont témoignent leur création, la réflexion s’organise... Il s’agit de donner à voir le geste artistique comme une réflexion en pratique...
PH : Qu’est-ce qu’un artiste d’aujourd’hui peut avoir à nous dire du temps que n’aurait pas pu dire un artiste inscrit dans l’histoire de l’art ?
BS : Le temps de l’histoire est décisif... c’est ce qui nous permet de voir que, au-delà du temps linéaire, celui des physiciens, de la biologie, le temps est à la fois une énigme et une réalité... et que cette dualité constitue la permanence du temps... son être... Une réalité parce que chacun de nous fait, sans nécessairement y réfléchir, l’expérience du temps, de ses effets : nous avons un âge, nous avons des montres, des parents, etc... Le temps est immanquablement cet élément dans lequel nous nous situons de manière aussi aisée, ou malaisée, que dans l’espace... mais quand il s’agit de dire ce qu’il est, on est plus embarrassé... Une énigme, donc... Une énigme trop souvent écrasée par le poids des certitudes, des platitudes... Or, voilà notre pari : l’artiste nous révèle cette énigme, non parce qu’il se situe dans les hauteurs... mais parce qu’il s’inscrit lui-même dans le temps... Il y a le temps du faire, de la pratique... c’est une expérience du temps qui traverse l’œuvre, dans sa mise en forme comme dans son évolution... il y a le temps du récit, de la durée, qui se laisse voir dans les inscriptions visibles tracées dans le support... mais il y a aussi le temps comme matière, dont on se saisit, que l’on manipule ou déforme comme le montrent les plasticiens utilisant l’image en mouvement...
PH : En somme, en présence de l’œuvre, le spectateur fait une expérience analogue à certains égards à celle du créateur, du plasticien, qui est l’expérience du temps ?
BS : C’est là qu’intervient une notion essentielle qui est celle d’exposition... Présenter des œuvres, c’est opérer une sorte de précipité, d’actualisation... Des formes méditées de longue date, longuement façonnées transportent avec elles des temps multiples... Ce composé de temps définit pour chaque
œuvre une temporalité qui lui est propre et qui est proposée au spectateur comme sa véritable signature... Si l’art est intemporel, ce n’est pas parce qu’il est éthéré, ou éternel, mais bien parce qu’il est capable d’actualiser dans l’exposition ce caractère d’énigme du temps...
PH : Quelle sera la place du spectateur, du visiteur dans cette exposition ?
BS : L’idée est de proposer un parcours scénographié autour de 19 artistes... un parcours qui, en lui-même, propose sa propre temporalité... disons que l’image du tressage convient pour rendre compte de cela : le visiteur circule, va et vient, s’arrête... ou détourne le regard !... c’est un parcours
créateur de temps... au contact des temporalités diverses dont les œuvres sont porteuses. Voyager dans le temps n’est certes pas de tout repos, mais n’est-ce pas ce que nous faisons en permanence ? Les œuvres d’art, dans ce voyage, sont des balises, des repères.
Interview de Brigitte Saby (Commissaire d'exposition) réalisée par Pierre Hanau