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Le Rêve du Scaphandre

Présentation

Elora Weill-Engerer     Commissaire de l’exposition

 

 

 

Nombreux sont les nageurs qui ressentent une telle intensité de sensation sous l’eau qu’elle en devient spirituelle. L’eau, selon leurs dires, leur offre une vacance de soi qui se traduit par la perte des notions d’espace et de temps. L’être, sous l’eau, n’est pas dans la nature, il est la nature. Dans le domaine des arts visuels, le leitmotiv de l’œuvre « immersive », - élargie récemment depuis les dispositifs expérientiels où la place du spectateur est centrale jusqu’à l’ensemble des supports plastiques -, suppose le fantasme d’une fusion totale du spectateur avec ce qu’il voit, reprenant les principes de l’immersion en milieu liquide.

L’œuvre immersive n’est plus un objet dans l’espace, mais constitue l’espace même qui engloutit le corps et le regard. Aujourd’hui, même un tableau peut être dit immersif : le spectateur est dans l’œuvre comme il serait dans l’eau. L’image, dès lors, n’est que périphérie, marge, qui se regarde sur le côté de l’œil et s’appréhende par les extrémités : on n’en perçoit jamais le centre. Une œuvre plastique peut-elle vraiment produire les mêmes effets que l’eau sur le corps du spectateur ? N’est-elle pas entravée dans ce projet par les limites propres à la matière artistique ? La pensée bachelardienne suppose que la rêverie la plus éthérée est toujours lestée d’une matière, d’un poids : le désir de sensation totale doit s’arrimer à quelque chose. C’est à cette tension que l’exposition Le rêve du scaphandre souhaite s’atteler, tension déjà contenue dans sa formule oxymorique : le scaphandre descend quand le rêve monte. Mais l’inverse fonctionne aussi.

L’eau est l’élément par excellence d’une imagination ouverte qui déborde de son cadre et s’enroule autour du spectateur. Le fondateur du rationalisme moderne, Descartes, écrit à la fin de sa deuxième méditation : « C’est comme si j’étais tombé dans une eau très profonde ». C’est la définition du doute, qui fait perdre pied au sujet jusqu’à ce que, dans l’immensité, il ait au moins appris de manière certaine qu’il n’y avait rien de certain. L’eau, au sens orphique, est l’élément non-logique des origines et de la fin, qui se sent plus qu’il ne se sait. Il invoque un principe circulaire non linéaire, liant l’être individuel avec le cosmos : flottaison, immersion, contemplation, plongeon constituent des expériences-limites du corps et définissent l’eau non pas par ce qu’elle est mais par ce qu’elle nous fait. Les Grecs de l’époque archaïque décrivaient la mer par toutes les couleurs du cercle chromatique (très rarement le bleu) et plus encore par ses états et ses affects : calme, agitée, monstrueuse, protectrice. L’universalité d’une définition a priori de l’eau est ici remplacée par la singularité de sa perception sensorielle. Aussi, les œuvres de l’exposition Le rêve du scaphandre sont des propositions symboliques, littérales, biaisées ou écologiques de l’eau qui montrent un panel de formes, matériaux et couleurs traduisant visuellement des sensations parfois non visuelles et propres à l’eau (auditives, tactiles, olfactives). L’eau en tant que principe vivant et transformateur se voit conférer un statut créateur en soi. Dans la rêverie matérialisante - rêverie qui rêve la matière -  est contenue une poésie dynamique : les choses sont ce qu’elles deviennent et l’eau est vécue avant d’être pensée, dans ses contradictions : « Pour rêver la puissance, il n’est besoin que d’une goutte imaginée en profondeur » (Gaston Bachelard, L’eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière [1942]).

Elora Weill-Engerer

 

 

Diplômée de l’École du Louvre, de Paris IV et de Paris I, Elora Weill-Engerer est historienne de l’art, auteure et commissaire d’expositions indépendante, membre de l’AICA et de C-E-A.

Dans ses commissariats d’expositions, elle envisage la curation comme un espace de recherche textuel et symbolique. Elle enseigne à Paris I et à l’École du Louvre.

PHOTOS Le rêve DU SCAPHANDRE

©Mona Mil

du 11 au 23 octobre 2022 - Paris 5eme ardt
36 Rue du Fer-à-Moulin

VIDÉOS d'artistes

©Wipart

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